L’Atalante de Bayonne, par son architecte Farid Azib

 

Photographies Luc Boegly
@lucboegly

 

Farid Azib : une approche sensible et humaniste

Dans un premier temps, je mène une observation du site. Je collecte des informations – historiques, sociologiques, urbanistiques, architecturales, de la vie quotidienne… – qui représentent une matière indispensable à la conception future. De la captation de ces signes et de ces données émerge une offre architecturale unique et respectueuse de toutes formes de patrimoines, une vision globale qui place l’homme au centre, en accord avec son milieu. C’est en tant que citoyen et usager, conscient de la nécessité du vivre-ensemble et de l’indispensable reconstruction de nouvelles sociabilités que je m’engage dans ces ouvrages. Une conception humaniste et holistique, pour une architecture candide et savante, élémentaire et complexe, archaïque et moderne, élégante, originale, aux résonances poétiques, et toujours orientée vers le bien-être des utilisateurs.

L’Atalante, un cinéma d’art et essai à Bayonne

Depuis sa création en 1990, L’Atalante, cinéma d’art et essai qui représente désormais un pôle important de la culture bayonnaise, est géré par l’association Cinéma & Cultures. Il est situé devant le quai Amiral-Sala sur la rive droite de l’Adour, au pied du pont Saint-Esprit qui rejoint le centre-ville. Pour mener à bien le projet, il a fallu regrouper et réaménager deux salles, dont une représentait une extension de quelque 200 places dans l’ancien garage du bâtiment attenant. Ville, Centre national de la cinématographie, conseils général et régional, furent les principaux partenaires de ce projet qui lançait la réhabilitation du quartier de Saint-Esprit. En pleine métamorphose, entourant la gare, ce dernier est riche d’une longue histoire remontant au xiie siècle : berceau des chocolateries bayonnaises, il abrite notamment la citadelle édifiée par Vauban à la fin du xviie siècle, la synagogue de la ville (de 1836), ainsi qu’une population aux origines diverses, souvent en transit, comme depuis des siècles.

Lors de ma première visite, je fus rapidement conscient de l’enjeu qui se présentait ici : je devais concilier le caractère historique du site avec une demande explicite d’inscrire cet espace de culture dans un fort parti pris contemporain. Je commençais alors à envisager les possibilités d’une modernité architecturale honorant l’existant par sa capacité à se fondre en cohérence dans l’identité de l’ensemble, sans chercher à la particulariser, à la séparer, à la singulariser par des formes contrastées, des matières ou des couleurs détonantes. Un juste équilibre à atteindre entre le respect du patrimoine, l’esprit des lieux, et la dynamique créative nécessaire à l’élaboration d’un site culturel, théâtre de propositions esthétiques, d’émotions, de réflexions et de débats qui cimentent notre présent et animent nos lendemains.

 

Fenêtres sur l’Adour et ouvertures sur le cinéma (et vice et versa)

Une ville est faite de fenêtres, de milliers de fenêtres qui laissent entrevoir et deviner des histoires et des destins. Les façades de Bayonne sont riches d’ouvertures, c’est très visible tout au long de l’Adour. Ainsi les fenêtres ont été notre point d’ancrage et de réflexion pour l’identité extérieure du bâtiment. Elles donnent à voir et à imaginer, laissent échapper bien des signes qui engagent des interprétations et d’éventuelles fictions. Des cadres exposés au sud-ouest laissent ainsi passer par transparence les lumières de chaque côté – intérieur/extérieur, naturelle/artificielle –, en une analogie explicite avec le cinéma : le septième art est aussi une percée sur le réel et l’imaginaire, un assemblage de cadrage, de plans, qui mis bout à bout forment des récits émouvants ou des histoires insensées. Le cinéaste enregistre, coupe, associe, construit, pour donner du sens et une approche particulière de l’espace. J’ai procédé de même pour offrir une façade à ce nouveau bâtiment. Une façade à la fois discrète et étonnante, intégrée et singulière, asymétrique, déconstruite et harmonieuse, angulaire et sage, douce et ouverte… Ainsi de grandes fenêtres amplifiées, à la fois dépareillées et assorties dans leurs dimensions, matérialisent ce concept, à l’instar d’une vision architecturale issue de la tradition expressionniste (et de son courant cinématographique !), mais dont le dessin et l’organisation seraient ici assagis par un poli inédit, une délicatesse et une clarté novatrices, un éclairage subtil et ouaté. L’ensemble reste en accord avec les façades extérieures de toutes les maisons voisines et les lents mouvements des eaux de l’Adour, qui défilent elles aussi sans que l’on puisse les arrêter… Des fenêtres ouvertes sur l’imaginaire et les rêves sur pellicules, qui laisseront entrevoir pour les passants se promenant sur les quais des scènes, des mouvements, des silhouettes, des lumières, une vie et une activité collective : le cinéma devient comme un plateau de tournage inattendu et toujours changeant. De l’intérieur du cinéma, le paysage des quais, la perspective du pont avec ses mobilités permanentes, le fleuve et ses ondes, et les reliefs du centre-ville historique en face, sur l’autre rive, sont comme des décors urbains magnifiés, soulignés par le découpage des ouvertures et les orientations des différents points de vue proposés aux visiteurs, laissant libre cours à leurs interprétations. Ainsi la façade est faite de volumes prismatiques en saillie, réalisés avec des éléments préfabriqués légers, tandis que la façade arrière procède du même dispositif, mais de manière plus allégée, plus abrégée, comme un court-métrage… Comme l’a justement déclaré Sylvie Larroque, codirectrice de L’Atalante : « Il y a vraiment un jeu de l’extérieur vers l’intérieur et inversement. Face à cette façade, on est déjà dans une idée de fiction potentielle avec ses fenêtres semblables à des écrans. Ces notions d’ouverture sur l’extérieur, de transparence, de visibilité, de proximité avec le fleuve ont vraiment été intégrées dans le projet initial de construction ».

 

 

Un espace intérieur cosy, dédié aux plaisirs et aux échanges

Le projet consistait donc à construire une nouvelle salle, un bar-restaurant et deux logements négociés en dation pour le propriétaire du foncier. L’équipe de L’Atalante souhaitait vivement la création d’un lieu de vie.

Entre la partie accueil du cinéma et celle du bar-restaurant, un dispositif mêle une résille en bois sur trois plans, canalisant les flux et permettant la mise en place de points de contrôle des accès vers les salles. Les activités internes génèrent de nombreux bruits, avec la diffusion des films et les musiques des concerts du bar-restaurant. Nous devions en préserver le voisinage, ainsi que les deux nouveaux appartements installés entre les murs de L’Atalante et même les différents espaces entre eux. Une concertation approfondie avec l’acousticien sur le dispositif à venir a donc été indispensable, d’autant que nous devions combiner ces contraintes avec le passage du site en zone sismique de niveau 3, le plus contraignant.

Le bar-restaurant transversal fait le lien entre les espaces existants transformés et l’extension. Il a une fonction stratégique. Il est constitué d’un comptoir très long, en bois d’un plancher en chêne issu de l’existant. L’atmosphère lumineuse tend à restituer les effets produits par la projection d’un film. Les verres et les bouteilles qui y sont rangés contribuent à amplifier les jeux de lumières, pour une ambiance encore plus chaleureuse et accueillante. Ici, la vue sur le fleuve est imprenable. Vous sentez que vous êtes spectateur et en même temps acteur, car comme je l’écrivais plus haut, dehors on vous aperçoit… Ainsi les salles de cinéma et du bar-restaurant musical sont conçues comme des boîtes étanches et des dispositions – aucune ouverture directe côté rue – permettant d’éviter toutes les fuites sonores. Doublages acoustiques et doubles murs indépendants, double châssis menuisés, désolidarisés de la structure, ainsi que des planchers et leurs dalles traités indépendamment ont été préconisés. Ainsi qu’un filtrage des très basses fréquences et des dispositifs de parois dimensionnées, et des sas acoustiques pour toutes les issues. Des silencieux aérauliques à baffles de grande longueur et des prises d’air neuf et de rejets ont été implantés et orientés de manière adéquate.

Une mezzanine surplombe le lieu de vie où l’on sert les plats et les consommations et où le public peut se détendre. Elle représente un espace polyvalent de lectures, de débats, d’expositions, et peut accueillir des groupes scolaires pour la médiation de l’art cinématographique…

La nouvelle salle de cinéma, accessible de plain-pied, propose 200 places et 6 pour des personnes à mobilité réduite. Voulant préserver le confort des salles d’art et d’essai par rapport à celui des cinémas plus commerciaux, j’ai prévu des dimensions d’écrans généreuses, des pas confortables entre fauteuils et des dégagements de tête agréables. Les bureaux administratifs sont en lien direct avec les cabines de projections. Le projectionniste peut passer de l’une à l’autre en un minimum de temps.

Les deux logements en dation livrés brut sont superposés sur deux niveaux. Ils sont ouverts sur la ville et les rives de l’Adour par de larges cadrages et leurs loggias, ainsi que sur l’espace interne agrémenté de grandes terrasses.

À l’arrière, l’accès s’effectue par une cage d’escalier et un ascenseur dédiés.

FARID AZIB
ARCHITECTE
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