SAUVE QUi PEUT (LA ViE)

Les angoisses et aspirations d’hommes et de femmes face à une société qui les broie. Ce film s’organise comme une partition musicale composée de quatre mouvements, l’imaginaire, après une rupture avec Paul, Denise part à la campagne. La peur, Paul craint la solitude. Le commerce, Isabelle apprend à sa sœur le métier de prostituée. La musique, renversé par une voiture, Paul se meurt sous les yeux de sa fille et de son ex-femme, qui très vite se détournent de lui et s’éloignent.
Interdit aux moins de 12 ans
JEUDi 27 AVRiL À 20H30
Séance accompagnée par Alain Bergala
Critique, réalisateur et essayiste, Alain Bergala est l’auteur, entre autres, de nombreux ouvrages consacrés au cinéma de Jean-Luc Godard. Il interviendra également sur un stage de formation académique organisé pendant le festival, aux côtés du critique Emmanuel Burdeau, également critique et enseignant, et rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma.
Critique du film par Jackie Willems, membre de l’association Cinéma & Cultures
Godard est décédé le 13 septembre dernier.
Il présentait Sauve qui peut (la vie) comme « Le premier film de sa deuxième vie »
En 1980, il avait abandonné le cinéma pendant dix ans pour se consacrer à l’art vidéo et au militantisme.
A cette tentative d’effacement succèdait une réaffirmation de soi, des doutes qui l’assaillaient dans un espace individuel qu’il taxait de zone de turbulence.
Pendant toute sa carrière il n’a cessé d’interroger les représentations d’un monde pour lui irréductible, bousculant nos modes d’appréhension de celui-ci, heurtant nos sensibilités, pour faire de son art un instrument de pensée.
Tout en déclarant que, dans ce film, il retrouve « ce beau pays de la narration», il se lance dans une oeuvre qui se propose, non pas de faire récit, mais de filmer la vie dans ses interstices, entre les évènements. Pour ce faire, il a recours à divers procédés comme par exemple le ralenti ou le collage. Il s’agit pour lui de «décomposer le passé pour composer le présent».
Le mouvement est l’une des obsessions du film. Paul Godard ( Jacques Dutronc), en proie à la peur, est frappé d’immobilisme, tandis que les deux femmes font résolument preuve d’allant.
Denise ( Nathalie Baye), décide de quitter la ville pour s’établir à la campagne. Elle se déplace à vélo tandisque Paul laisse passer les trains, reste sur le quai.
Isabelle ( Isabelle Huppert), monte à la ville pour s’y prostituer.
La prostitution, thème récurrent chez le cinéaste, donne lieu ici à une mise en questions du rapport du cinéma et de l’argent, de sa parenté avec le monde de la chaîne qui maltraite le corps, lui enlève sa dignité, le transforme en plus-value dans une scène restée mémorable.
La parenthèse enchantée de Mai 68 s’est bien refermée et Make love, not war a cédé la place à la gestion des relations par l’argent. Le texte extrait de L’établi de Linhart sur le travail à l’usine peine à s’écrire. La tendresse est absente, même dans le couple qui s’est aimé et s’aime sans doute encore. La relation avec les enfants passe par la monétisation
Après le militantisme des années soixante-dix qui donnait une si grande place à la parole, les mots sont ou haineux ou vides de sens.
Pour autant, la poésie est à l’oeuvre ici. Certains plans sont de toute beauté. La nature, ses couleurs disent que l’image pévaut sur le mot. Y verrons-nous l’amorce de L’adieu au langage ?
Plusieurs fois prononcée, la phrase «C’est pas triste» indique que ce qui constitue un état des lieux, une tentative d’exploration de la zone de turbulence, ouvre une porte qui laisse peut-être entrer l’espérance.
« D’où vient la musique? », se demandent les personnages à divers moments.
La musique propose, dans le fait même qu’elle n’est pas articulée, l’esquisse en filigrane qui aboutira au film L’éloge de la musique. L’orchestre de la fin suggère une possibilité d’harmonie. Belle manière de terminer un film.
Les dernières paroles de Paul, résonnent aujourd’hui de manière qui nous rappelle l’humour, parfois caustique, toujours à l’oeuvre chez Godard: « Je ne suis pas mort, puisque je n’ai pas vu défiler ma vie». Il nous parle encore.