L'ÉTABLI

FRANCE
2023 1h57
Réalisé par Mathias Gokalp
avec Mélanie Thierry, Swann Arlaud, Olivier Gourmet, Denis Podalydès, Marie Rivière, Marc Robert, Jean Boronat

Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades , il veut s’infiltrer en usine pour raviver le feu révolutionnaire, mais la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent 3 heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social.

La figure de Robert Linhart a été popularisée notamment par le récit de Virginie Linhart LE JOUR OÙ MON PÈRE S’EST TU paru en 2008, qui retraçait de manière intime l’histoire d’un père révolutionnaire dévoré par son engagement. Trente auparavant, en 1978, Robert Linhart avait lui-même publié un livre document L’ÉTABLi, où il restituait avec lucidité son expérience d’ouvrier en tant qu’infiltré maoïste dans une usine, stratégie prônée par le mouvement politique pour amplifier le mouvement révolutionnaire. Adaptant avec fidélité cette histoire, le film de Mathias Gokalp revient sur cette ardente expérience humaine et sociale, avec dans le rôle principal l’excellent Swann Arlaud. Livrant un regard sur cette période où le basculement social semblait à portée de main, il propose une réflexion sensible et toujours actuelle sur le sens des luttes sociales et sur le lien entre classes populaires et intellectuels… 

 

Critique de Jackie Willems, membre de l’association 

Le film évoque le passage à l’usine d’un des représentants les plus marquants de ce que l’on a appelé l’établissement, Robert Linhart.

Ce dernier, fondateur du mouvement maoïste en France, a initié ces expériences d’intellectuels, souvent issus de la bourgeoisie, qui ont choisi de connaître au plus près la condition ouvrière et ont tenté de rallumer l’enthousiasme de mai 1968 quelques mois après les déceptions qui s’en suivirent.

Son livre L’établi, paru en 1978  retrace avec brio son expérience à l’usine Citroën et a connu un vif succès lors de sa parution. Il retrace cet épisode de manière convaincante et se distingue par de réelles qualités littéraires. Cette immersion volontaire dans la classe ouvrière n’était pas nouvelle. Marx souhaitait que la théorie s’accompagne d’une praxis, et d’autres avant Robert Linhart avaient tenté l’expérience auparavant. Parmi  ceux-ci, Simone Weil ( la philosophe) en est une des figures les plus emblématiques.

Le film répond aux exigences de l’adaptation cinématographique et, s’il enregistre une perte par rapport à l’ouvrage, il tente d’actualiser, c’est à dire de rendre contemporaine, la perception que nous avons du phénomène de l’établissement.

Ainsi la création de personnages féminins telles que les ouvrières yougoslaves ( à l’origine des hommes) alors que le récit, en conformité avec son époque, invisibilisait les femmes.

Pour autant, le film réussit à rendre le parfum de cette époque où la convivialité, un certain sens de la fraternité et la joie partagée existaient entre les militants et parmi ceux qui, à la marge, étaient portés par le sentiment de réinventer le monde.

Le cinéaste met en scène la supposée vie privée de Robert, avec l’introduction de son épouse et de sa fille. Ceci suscite un vif désir d’en savoir plus et la lecture du livre Le jour où mon père s’est tu, d permet au spectateur de mieux appréhender les dégâts psychologiques engendrés par les contradictions idéologiques auxquelles se confronte notre héros, qu’un contremaître à la solde du patronat a tôt fait de mettre en pièces à la fin du film.

 Le livre de Virginie Linhart complète le film en donnant à la fois un cadre, notamment idéologique,  à l’expérience de son  père tout en autorisant une mise à distance de l’époque grâce à l’évocation des difficultés auxquelles les enfants des militants qui ont tant sacrifié à la vie politique ont dû faire face. Elle pose avec justesse la question de cet héritage, avec ses aspects positifs et ses aspects négatifs qui constituent aujourd’hui notre héritage sans surtout souscrire à la tendance de ceux qui jettent le discrédit sur cette époque et ses soi-disant désordres actuels.

 Lors d’une émission sur France Culture, Robert Linhart et sa fille se déclarent satisfaits de l’adaptation. Virginie Linhart affirme pourtant ne pas se reconnaître dans l’appartement bourgeois qui sert de décors à la vie du militant.

 La fin du film comporte des maladresses. Le corsetage  même symbolique, du personnage dans un costume haute couture, comme dans son discours universitaire, est en contradiction avec le côté naturaliste du reste du film.

Souhaitons que les critiques favorables auxquelles le film donne lieu sauront toucher un jeune public qui ne méconnaît peut-être cette époque.

Jackie Willems.

A lire

L’établi , Robert Linhart, Les éditions de minuit

Le jour où mon père s’est tu, Virginie Linhart , Seuil

A écouter

France Culture, Une émission exceptionnelle en compagnie de robert Linhart, 7 avril 2023

 

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