LES HERBES SÈCHES

FRANCE
2023 3h17
Réalisé par Nuri Bilge Ceylan
avec Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici, Ece Bağcı, Erdem Şenocak

Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui… 

Festival de Cannes 2023 : Prix d’interprétation féminine pour Merve Dizdar 

Chaque film du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan est attendu avec impatience, et depuis UZAK en 2002, c’est avec une grande régularité qu’il a les honneurs de la compétition cannoise, avec une Palme d’Or pour WINTER SLEEP en 2014. On ne se lasse pas de l’esprit de Tchekhov sous la neige de l’Anatolie, et on serait tenté de dire que Nuri Bilge Ceylan atteint des sommets avec ce portrait de quelques humains tranquillement à la dérive. D’une esthétique majestueuse, le film est aussi d’une richesse impressionnante, avec un ancrage assez inattendu dans l’ère post#MeToo avec ses enseignants se faisant rappeler à l’ordre par leur hiérarchie après des plaintes d’élèves. Mais la maestria de Nuri Bilge Ceylan consiste, une fois encore, à s’emparer, de manière romanesque et incarnée, des grandes questions existentielles, du temps qui passe, du temps qui reste, et de l’inquiétude morale qui va avec.

 

L’avis de Jackie Willems, administratrice de l’Atalante

La neige qui recouvre tout et sur laquelle pourtant une histoire demande à s’écrire. Quelques traits sur la blancheur des courbes du paysage et de l’air noyé de brume. L’histoire s’écrira-t-elle?
Magnifique photographie du film d’un cinéaste qui fut et est encore photographe à l’instar de l’un de ses protagonistes.
Ce film est un instantané, un point dans l’existence de personnages dont l’avenir tarde à s’esquisser et que la monotonie du quotidien se refuse à combler. Les clichés qui figent le temps documentent avec magnificence la vie des habitants de cette région reculée de l’Anatolie où Samet, enseignant en arts plastiques, s’ennuie en attendant une mutation à Istambul qui ne vient pas. Son collègue Kenan est aussi d’humeur chagrine puisqu’il n’a pas obtenu le poste de principal du collège auquel il aspirait. Lui souhaite demeurer dans son pays natal et attend une épouse qu’il n’a toujours pas rencontrée. Entre les deux surgit Nuray, enseignante elle aussi. Elle est du cru mais mais a vécu en ville. Elle exprime une sensibilité artistique par ses dessins. Elle est d’ici et d’ailleurs puisque professeure d’anglais. C’est une femme lumineuse qui, bien que meurtrie dans sa chair, croit encore à l’engagement contrairement à Samet qui s’isole dans une posture esthétisante et individualiste.
Une jeune élève brillante et pleine de vitalité le fait vaguement rêver. Elle réduira cette ébauche de rêve à néant et, lorsque la neige aura fondu, ne subsistera que le souvenir d’une intensité non partagée sur lequel est venu buter le réel de ses lâchetés. La jeune fille, comme celle de la fin de la Dolce Vita, n’a figuré un temps que l’innocence qu’il aimerait trouver en lui. Elle ne suscitait que la suggestion d’une histoire non écrite encore et qui semblait receler toutes les promesses, répondre à une exigence de sens.
De sa lecture de Chekov Ceylan a retenu le manque de relief du quotidien et sa mélancolie. Il travaille de manière hasardeuse et intuitive, s’entourant de coscénaristes qui tâtonnent avec lui, tout comme les comédiens qui participent au jour le jour à l’élaboration de l’œuvre. Voici qui donne aussi au spectateur la liberté de son regard, surtout après qu’une scène d’une modernité sidérante vient surligner le côté fictif, voire fortuit, de cette création. Chacun participe au final à l’élaboration de l’œuvre.
Ceylan écrit aussi de très beaux dialogues qui débusquent la vérité des êtres, assurent la traversée des apparences. Le film se conclut par une très belle mise en mots, non plus en images, de ce que Samet vient de vivre et de ses conclusions. Ce texte en voix off sonde, entraîne dans les profondeurs. En contrepoint d’une certaine désillusion qui imprègne tout le film, nous éprouvons, éblouis, la séduction de plans somptueux dont celui du début où le personnage se fait emporter par un attelage qui n’arrête pas sa course. A nous de le rejoindre…
Comme dit un personnage de Mauvais sang de Carax: Vite, avant que la mélancolie s’empare de tout…..

Les autres films à l'affiche